Je decide
d'engager la conversation. "Vous etes originaire d'Algerie non?". La
reponse me paraissait si evidente que je l'entends a peine. "Que
pensez-vous de tout ca?"
- " Monsieur, tant que la France
elle ne se sera pas excusee pour tout ce qu'elle nous a fait subir,
l'Algerie ne pourra pas fonctionner. Regardez dans quel etat il est
notre pays aujourd'hui! Tout ca c'est a cause de la France. Il n'y a pas
une famille qui a ete epargnee. Dans nos villages, un jour ils se
faisaient menacer par le FLN si ils collaboraient avec les Francais, le
lendemain l'Armee francaise debarquait et faisait une expedition
punitive parce que les habitants avaient accueilli les fellagas. Les
militaires dans ces cas la ils violaient meme nos femmes."
J'essaie
de trouver des arguments. J'explique que les exactions de quelques uns
ne peuvent pas etre consideres comme representatifs de toute l'Armee
francaise. Qu'on ne peut pas condamner 130 ans de colonisation sous le
pretexte que la guerre d'independance a ete terrible. Toutes ces
infrastructures, ces hopitaux, ces ecoles, c'est tout de meme bien a la
France que l'Algerie le doit. Mon chauffeur ecoute, mais rien n'y fait.
La colonisation n'etait faite que dans l'interet de la France, qui a
ensuite laisse le pays dans le chaos.
Je
mentionne alors mon pere qui a commande un regiment en Algerie en plein
processus d'independance. Sous ses ordres, pas question de torture ou de
mauvais traitement de la population civile. Combien il a tant aime ce
pays, ses habitants. Combien aussi il a pris des risques pour sauver et
evacuer des harkis, aux depens evidents de sa propre carriere au sein de
la hierarchie militaire. Le chauffeur me regarde et d'un geste arrete
le compteur. Nous sommes a mi-parcours seulement et je me demande
l'espace d'un instant s'il va me demander de descendre. "Le reste de la
course c'est pour moi Monsieur".
Telles sont les relations entre nos deux pays. De la haine, mais tant de sentiments fraternels partages.